corinne cabassud
Recherche et engagement sont le sel de sa vie
L’eau est son élément… Elle n’est ni navigatrice, ni spécialiste en biologie mais cette chercheuse en Génie des procédés mène des travaux autour de systèmes innovants de production d’eau potable.
D’abord intéressée par le traitement des eaux usées contenant des micro-polluants et la potabilisation des eaux douces, elle en est venue à se pencher sur la façon dont on peut dessaler les eaux. Et ce, parce qu’elle est portée depuis toujours par la volonté d’œuvrer sur des questions à fort impact sociétal, sur des procédés qui pourraient être davantage soutenables.
L’eau est en effet son objet de recherche principal depuis sa thèse passée en 1986 à l’INP de Toulouse. Cette professeure des universités aime bien raconter que c’est à l’ENSIC de Nancy (École nationale supérieure des industries chimiques – INP Lorraine), où elle a obtenu son diplôme d’ingénieur en spécialité Génie des procédés en 1983, qu’elle a « attrapé le virus de la recherche et de l’eau », grâce à un enseignant qui l’a « captivée » et fait poursuivre en DEA (ex master recherche). C’est durant ce DEA qu’elle découvrira avec intérêt les procédés de pervaporation pour le traitement de l’eau, une technique de séparation de molécules en solution où l’un des constituants traverse une fine membrane en polymère dotée d’une perméabilité sélective à cette espèce chimique et s’évapore à la face aval.
C’est cet intérêt pour les procédés de séparation par membrane, mais aussi pour les sujets à impact sociétal, qui la motivera alors à poursuivre en doctorat dans le domaine de l’eau. Et sa thèse, pionnière sur le thème des « Bioréacteurs à membranes pour la dénitrification des eaux [qui consiste à transformer les nitrates et nitrites en azote gazeux qui s’échappe alors de l’eau dans l’air, ndlr] », la confortera définitivement dans cette thématique.
C’est durant cette thèse qu’elle fera une autre rencontre importante, celle d’un directeur de recherche CNRS à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, qui lançait un projet financé par le CNRS et Suez Eau France s’appuyant également sur des membranes polymères pour produire de l’eau potable. Il lui proposera de rejoindre son équipe. « Nous avions une mission commando », se souvient la chercheuse. « 3 ans pour concevoir des membranes d’ultra-filtration capables de retenir les bactéries, particules et virus et leur procédé de fonctionnement ! ». D’une poignée de chercheurs, tous des jeunes docteurs, ils finiront sur ce projet à une trentaine et réussiront à tenir ce pari. Ce qui amuse encore la chercheuse qui se souvient du scepticisme qui pouvait entourer à l’époque ce type de projets qui ont désormais le vent en poupe. « Tout le monde nous disait ‘’ça ne va jamais marcher’’ alors que depuis il y a eu une vraie percée de ce domaine-là ! ».
Des procédés de traitement des eaux usées à ceux pour dessaler l’eau
À l’issue de cette première expérience et après un rapide interlude professionnel en tant qu’ingénieure d’affaires qui « ne lui a pas plu du tout », Corinne Cabassud candidatera à l’INSA Toulouse en 1993, qu’elle intégrera en tant que Maître de Conférence. Elle y rejoint alors Toulouse Biotechnology Institute (TBI), où elle mènera tous ses projets de recherche autour de procédés de traitement des eaux jusqu’à aujourd’hui.
Ces travaux ont d’abord été axés sur le traitement des eaux usées domestiques (en explorant notamment les bioréacteurs à membranes et des systèmes composés de membranes de nanofiltrations pour parvenir à éliminer des micro-polluants toxiques qui restaient encore présents après des traitements à faible concentration et étaient relâchés dans l’environnement) ou de production d’eau potable par ultrafiltration d’eau douce, en cherchant à limiter les besoins en énergie du procédé. Ils ont ensuite porté sur des procédés pour dessaler l’eau.
« Nous avons un problème de ressource en eau aujourd’hui : dans certains endroits de la planète, cela se pose en quantité, dans d’autres aussi en qualité car la société l’a dégradée avec ses activités anthropiques », explique la chercheuse. « L’objectif est d’arriver à produire de l’eau de bonne qualité dans des zones où il n’y a pas d’eau douce. Et la recherche se penche actuellement sur deux pistes : voir comment on peut réutiliser les eaux usées que l’on génère et, deuxième voie, utiliser des ressources salines alors qu’une grande partie des populations dans le monde habite à proximité de côtes. »

Corinne Cabassud, accompagnée d’étudiants et d’enseignants de l’USTH
Traitement et valorisation des eaux saumâtres via un procédé s’appuyant sur le photovoltaïque
Aujourd’hui, le procédé le plus largement utilisé pour opérer une séparation physique des sels et de l’eau est l’osmose inverse qui s’appuie sur l’utilisation de membranes polymériques, simples barrières physiques, imperméables aux sels de mer en laissant traverser l’eau. Ce procédé a néanmoins un inconvénient : il consomme beaucoup d’énergie et contribue aux émissions de gaz à effets de serre (lire son article à ce sujet paru dans The Conversation) car, pour faire passer l’eau au travers de la membrane, il faut des pompes pour appliquer une pression forte et cette pression doit être plus importante quand la concentration en sels augmente, ce qui est le cas lorsqu’on la prélève en mer.
Corinne Cabassud a donc choisi d’explorer la mise au point d’autres procédés beaucoup moins énergivores et plus soutenables : produire de l’eau potable à partir d’eaux saumâtres, des eaux souterraines ou de surface proches des côtes influencées par les eaux de mer mais dont la teneur en sel est inférieure à celle de l’eau de mer, en les traitant avec un procédé dit d’osmose inverse basse pression, et faire fonctionner en plus ce système en utilisant de l’énergie électrique d’origine renouvelable, en l’occurrence ici en s’appuyant sur un dispositif photovoltaïque.
Une expérience au Vietnam “inspiratrice” de nouveaux travaux
Elle s’intéresse aussi à un procédé innovant, la distillation membranaire, basé sur une vaporisation de l’eau à la surface d’une membrane poreuse si on lui apporte de la chaleur. La vapeur d’eau traverse la membrane (imperméable à l’eau sous forme liquide), et l’eau obtenue après condensation est dessalée, même si on traite des saumures très concentrées en sel, ce qui ouvre de nombreuses possibilités d’application. Là aussi elle s’intéresse à l’utilisation d’énergie renouvelable en imaginant comment apporter la chaleur nécessaire directement avec l’énergie solaire thermique (comme dans les chauffe-eaux solaires).
C’est le Vietnam, où Corinne Cabassud a fait une « escale » professionnelle d’une dizaine d’années, qui a été sa source d’inspiration sur cette thématique devenue centrale dans ses recherches. Parce qu’elle y a découvert un « pays très touché par le réchauffement climatique et par la remontée des eaux des océans dans les deltas » et « une vraie problématique de dessalement des eaux de surface dont la qualité est modifiée de par les flux et reflux des marées ». C’est pour ce pays qu’un premier pilote sera mis au point et testé à TBI et qui servira de base à la construction d’une installation similaire au Vietnam.
Des travaux concentrés sur l’approche circulaire de l’eau
Depuis, ses travaux sur la distillation membranaire solaire se poursuivent à plus grande échelle. Alors qu’un doctorant va expérimenter cette installation innovante sur un plus gros pilote construit au laboratoire, Corinne Cabassud est engagée en parallèle dans le projet européen MSCA-Doctoral Network EXBRINER sur la conception de procédés innovants de traitement et de valorisation de saumures de dessalement dans un concept d’économie bleue circulaire. Projet dans le cadre duquel, notamment, un pool de doctorants va être formé à travailler sur cette thématique de l’approche circulaire de l’eau.
« J’aime aussi bien comprendre la technologie que les humains »
Au regard de son parcours, force est de constater que son intérêt marqué pour la recherche, pour l’eau mais aussi pour les questions à fort impact sociétal est donc toujours bien présent plus de 30 ans après. « J’aime aussi bien comprendre la technologie que les humains et les organisations », aime-t-elle résumer. « Et donc apporter ma brique pour faire progresser les deux. » Une de ses plus grandes satisfactions professionnelles est, au bout du compte, d’avoir accompagné des doctorants dans leur approche de la recherche et de voir que nombre d’entre eux sont enseignants-chercheurs ou chercheurs dans l’industrie, et actifs dans le domaine de l’eau et de l’environnement.
Un trait de caractère qui explique aussi ses très nombreux engagements par ailleurs. Corinne Cabassud a en effet notamment exercé deux mandats en tant que directrice du département du Génie des procédés et environnement à l’INSA Toulouse, été membre de la CTI (Commission des titres de l’ingénieur), conseillère scientifique au Haut conseil de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche -HCERES et membre de plusieurs conseils scientifiques (Institut de la filtration et des techniques séparatives – IFTS, Eau de Paris…) mais aussi élue pendant 14 ans au conseil municipal de sa ville, Saint-Orens. Et aujourd’hui, elle travaille aussi pour l’équivalent belge du CNRS, le FNRS, où elle a la charge de participer à la sélection de post-doctorants et chercheurs et de projets Excellence of Science d’équipements et de recherche.
Des fonctions qui, dit-elle, comme ses recherches, satisfont sa « curiosité » : « La curiosité de découvrir des systèmes différents, pour la science, mais aussi pour la gouvernance… ». Ce qui explique aussi que cette chercheuse, passionnée aussi dans ses loisirs par la sculpture et la pratique du Qi Gong, souhaite poursuivre en tant que professeur émérite lorsqu’elle prendra sa retraite bientôt…
Rédaction : Camille Pons, journaliste

INSA Toulouse
135 avenue de Rangueil
31077 Toulouse cedex 4
Tél : 05 61 55 95 13
Fax : 05 61 55 95 00

Dans un souci d'alléger le texte et sans aucune discrimination de genre, l'emploi du genre masculin est utilisé à titre épicène.