[L’Actu – Février 2025]
Vers de la maintenance prédictive
pour les ouvrages d’art
Permettre à des maîtres d’ouvrage de passer d’une maintenance corrective à une maintenance prédictive pour les ouvrages en béton, tel est l’objectif visé par un projet de recherche d’une équipe du LMDC. Les travaux s’appuieront sur un démonstrateur à échelle 1/3 pour suivre la « vie » d’un ouvrage d’art du métro toulousain. Les informations collectées nourriront des modèles numériques qui permettront de développer un jumeau numérique de prédiction de son comportement dans le temps.
L’idée du projet, baptisé DéPrOMéT (Démonstrateur pour la maintenance prédictive des ouvrages d’art du métro toulousain), trouve son origine dans un constat simple, comme le souligne Frédéric Duprat, le coordonnateur de ce projet qui rassemble cinq autres chercheurs de son laboratoire, le LMDC (Laboratoire matériaux et durabilité des constructions Toulouse-Tarbes). « Pour la plupart des gestionnaires d’ouvrages de génie civil, la maintenance se fait via des inspections, souvent sur la base d’observations visuelles périodiques visant à repérer des signes de dégradation. Ces inspections donnent ensuite lieu à des mesures correctives de maintenance, seulement quand on se rend compte que l’ouvrage est dégradé, par exemple lorsqu’on observe des fissures symptomatiques d’un désordre structurel. Alors que l’entretien, qui inclut des opérations moins lourdes que la maintenance, se programme, ce n’est hélas pas le cas pour cette dernière, notamment parce que les maîtres d’ouvrage, par exemple les collectivités, ont des problématiques de budget. Contraints de plus en plus chaque année, ils flèchent les financements vers les ouvrages les plus en demande », regrette le chercheur. Résultat : de cette politique de maintenance curative résultent des opérations de réparation lourdes, coûteuses en matériaux neufs, en énergie et générant des déchets.
L’idée ici ? Mettre au point un dispositif de prédiction des dégradations (type de dispositif qui suscite de plus en plus d’intérêt aujourd’hui mais reste peu répandu), pour anticiper les opérations de maintenance sur un ouvrage et réduire ainsi les risques d’interruption et les coûts, y compris environnementaux. « Concrètement, il s’agira d’instrumenter un ouvrage pour collecter des informations sur le comportement des matériaux, afin de calibrer des modèles de calcul pour que l’on puisse faire à terme de la prévision : d’une part, que va-t-il se passer, et d’autre part, dans combien de temps ? », explique Frédéric Duprat. « Certes, des modèles prédictifs ont déjà été développés au laboratoire sur la base de travaux précédents (par exemple pour prévoir la pénétration d’agents agressifs dans le béton), mais pas déployés sur de ‘vrais’ ouvrages. »
Instrumenter un fac-similé d’une travée d’un viaduc du métro toulousain
Pour ce projet précis, le « vrai » ouvrage sera le futur viaduc de la connexion ligne B – ligne C du métro toulousain. Plus précisément un fac-similé de ce viaduc, dit démonstrateur : une maquette à échelle 1/3 d’une travée de viaduc constituée de voussoirs, le voussoir étant un système privilégié dans des constructions de ce type, car sa forme en anneau garantit à la fois de la raideur mais aussi de la légèreté grâce à l’absence de matière en son centre, le rendant donc plus facile à utiliser à de grandes hauteurs. Les chercheurs vont notamment observer l’une des principales dégradations qui concerne ce type d’ouvrage, la corrosion des armatures présentes dans le béton, initiée par la pénétration du gaz carbonique et/ou des chlorures.

Les voussoirs, utilisés pour construire le viaduc du métro toulousain, seront au centre de l’étude menée par les chercheurs du LMDC.
Un projet couvrant plusieurs sujets d’études
Ce projet, que les chercheurs espèrent voir retenu dans le cadre d’un appel à projets i-Démo de Bpi France sur lequel ils candidateront en juin prochain, est d’autant plus intéressant qu’il est constitué en triptyque. Il s’agira d’abord d’instrumenter le démonstrateur, qui sera installé dans les murs de l’INSA, avec une technologie avancée (sondes pour mesurer la vitesse de corrosion des armatures, sondes pour mesurer la teneur en eau du béton car cela peut être un facteur aggravant de sa corrosion, etc.) pour suivre son comportement sous des agressions, pour certaines imposées (eau chlorée) et pour d’autres naturelles (carbonatation). La collecte des données permettra de développer et/ou affiner des modèles numériques, puis de concevoir un jumeau numérique de prédiction. Celui-ci restera en interaction avec ces modèles et fournira une prévision quantitative des dates clés pour la maintenance : dépassivation des armatures, c’est-à-dire amorçage de la corrosion, déformations, etc.
Deuxième volet du triptyque, tester et améliorer des dispositifs de protection cathodique développés par la société d’ingénierie Corrohm, experte en corrosion d’infrastructures, car ces dispositifs peuvent contribuer aussi à prolonger la durée d’utilisation des ouvrages. Un pan important du projet, car les systèmes de protection cathodique manquent encore d’efficacité dans certains cas et, « dans le cas des voussoirs, ils peuvent même avoir un effet aggravant plutôt que protecteur », observe Frédéric Duprat. Pourquoi ? « Pour constituer la structure porteuse, les voussoirs sont attachés les uns contre les autres via des armatures de précontraintes que l’on tend comme des élastiques pour comprimer l’ensemble. Néanmoins, il n’est pas possible, avec un tel système, d’obturer les espaces en totalité. Ces armatures de précontrainte peuvent alors être fragilisées par l’hydrogène, conséquence possible de la non fermeture complète des gaines de précontrainte, contenant ces armatures, en cas de protection cathodique par courant imposé. »
Enfin, c’est le 3e pan du triptyque, le projet doit aussi servir à tester un système auxiliaire communicant développé par le LAAS (Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes), conçu pour récupérer les informations envoyées par les capteurs et les renvoyer directement sur internet via un protocole sans fil Blue tooth / LoRa. Système qui présente divers atouts, dont « celui de permettre de stocker sur un site des informations en direct, mais aussi de se dispenser de la connectique, donc des fils », souligne Frédéric Duprat. Et il sera également autonome d’un point de vue énergétique.
Une dimension environnementale appliquée au projet
Enfin, parce que les chercheurs sont fortement mobilisés sur les problématiques d’enjeux environnementaux, ils ont aussi introduit cette dimension dans le projet. Ce démonstrateur comprendra 4 structures : 2 structures pour tester 2 conditions de protection cathodique différentes (protection ou absence de protection) et 2 structures supplémentaires pour tester 2 compositions de béton, du béton classique et du béton bas carbone, et observer si le second peut être aussi performant que le premier.
Le projet, s’il est retenu dans le cadre d’i-Démo, sera mené sur 4 ans. Mais les chercheurs voient plus loin. « C’est en fait un projet de 30 ans », souligne Frédéric Duprat. « Car c’est le temps qu’il faut pour qu’un ouvrage atteigne un état de dégradation avancé. » Outre continuer d’observer l’ouvrage sur son cycle réel de vie, les chercheurs envisagent aussi d’utiliser ce démonstrateur, son instrumentation et son suivi, de même que l’environnement numérique qui sera constitué, pour des activités pédagogiques. Par exemple, pour servir la formation des ingénieurs de l’INSA Toulouse des filières Génie civil et Génie électrique et informatique.
Mais, d’ores et déjà, le projet présente des enjeux de taille. Il pourrait d’abord permettre de mieux prévoir, suffisamment à l’avance, les dépenses nécessaires à cette maintenance et garantir ainsi une meilleure maîtrise des coûts à ceux qui gèrent ces ouvrages. Il devrait ensuite permettre de renforcer encore davantage la sécurité de ces ouvrages. Des enjeux non négligeables alors qu’un rapport sénatorial avait estimé, en 2019, entre 30 et 35 000 le nombre d’ouvrages en mauvais état structurel.

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