[L’Actu – Avril 2024]
Prix Jeune Chercheur à Julie Dubuit : quand le vivant vient en aide au béton
Julie Dubuit est lauréate du prestigieux Prix Jeune chercheur de la Fondation des Treilles. Ses recherches, menées dans le cadre de sa thèse au LMDC, pourraient ouvrir de nouvelles perspectives pour l’entretien d’ouvrages en béton armé exposés à un milieu très corrosif, le milieu marin : parce que, outre se pencher sur une manière d’optimiser la durabilité de ces structures, ces travaux visent à mettre au point un procédé de protection cathodique biogalvanique en s’appuyant sur un phénomène totalement naturel.
La jeune chercheuse voulait être architecte au départ. Julie Dubuit a alors découvert l’INSA Toulouse, établissement qui lui offrait la possibilité de mixer, à travers un double-diplôme, cette première appétence avec des études d’ingénieur. Elle interrompra néanmoins ce double-diplôme durant son cursus à l’INSA car elle n’y trouvait pas son compte, notamment parce que les études d’architecture s’intéressaient moins au patrimoine ancien, pour lequel elle dit avoir une véritable « fascination », qu’au bâti neuf. Mais la jeune femme nourrira durant tout son cursus jusqu’à aujourd’hui son intérêt pour le bâti : spécialisée durant ses études d’ingénieur dans le Génie Civil puis, plus précisément en 5e année, en ingénierie de la durabilité, elle suivra un master 2 co-habilité avec l’Université Toulouse-III Paul Sabatier, ID-RIMS (Ingénierie de la Durabilité – Recherche et Innovation en Matériaux et en Structure), puis mènera une thèse au LMDC (Laboratoire matériaux et durabilité des constructions) autour d’une « Solution innovante de protection cathodique des structures en béton armé en environnement marin ».
C’est cette thèse de doctorat qui l’a menée jusqu’à l’obtention du Prix de la Fondation des Treilles le 12 mars dernier. Lauréate parmi 33 jeunes chercheurs, des doctorants et des post-doctorants, Julie Dubuit est la seule française représentée dans le domaine de l’ingénierie. Ses travaux ont été menés sous la houlette d’Alexandra Bertron et Fabrice Deby du LMDC et de Benjamin Erable du LGC (Laboratoire de génie chimique), dans le cadre d’une convention CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) signée avec la start-up CORROHM spécialisée dans le domaine de la corrosion des ouvrages, sous la tutelle de Stéphane Laurens. Leur objet est la mise au point d’un procédé innovant de protection cathodique biogalvanique.
Se servir de l’énergie électrique générée naturellement par des micro-organismes présents dans les sédiments marins
Innovant, pourquoi ? « Parce qu’il s’agit de développer une nouvelle technologie de protection cathodique contre la corrosion pour les structures en béton armé, spécifiquement en milieu marin, en se servant de micro-organismes naturellement présents dans les sédiments marins, qui génèrent spontanément des électrons nécessaires à la protection cathodique des aciers d’armatures. Ces micro-organismes sont capables d’extraire spontanément ces électrons dans l’environnement immédiat de la structure ou du métal à protéger », explique la jeune chercheuse. Parce qu’issu d’un phénomène naturel, ce procédé offre donc trois avantages majeurs : il est à la fois autonome, mais aussi durable et écologique.
Plusieurs étapes ont jalonné son travail. La première étape a consisté à mettre au point un pilote expérimental à grande échelle, installé dans le hall de l’IUT Génie chimique, un élément en béton armé de 3 mètres de haut installé dans un environnement reproduisant le milieu marin, associant eau de mer et sédiments. Pilote qui a permis d’expérimenter et d’effectuer des mesures selon plusieurs configurations, mesures qui portaient autant sur le comportement de ces bio-anodes utilisées pour la protection que sur l’ouvrage concerné par ce système de protection : leurs comportements ont pu être observés, par exemple, en fonction de différentes températures ou encore en fonction d’événements naturels que la chercheuse s’est attachée à reproduire (un simulateur d’embruns et de marées a permis, par exemple de reproduire les aspersions sur les parties également immergées de la structure). Les résultats de cette phase ont fait l’objet de prédictions numériques.

Remplissage d’un réservoir avec des sédiments marins
De la simulation en laboratoire à la phase exploratoire en « conditions réelles »
Cette première expérimentation sur un pilote a été suivie d’une observation de ces mêmes comportements « en conditions réelles », cette fois-ci dans un parc à huîtres dans lequel la chercheuse a pu observer durant plusieurs mois le comportement de bioanodes exposées à des événements naturels. Il s’agissait, avec cette 2e phase exploratoire, de vérifier si les observations étaient similaires dans un volume beaucoup plus grand et abritant davantage de sédiments. Une étape qui a permis de démontrer qu’il est « très compliqué de répliquer à l’identique un environnement naturel dans un laboratoire » mais qui a néanmoins permis de confirmer les premières prédictions numériques qui avaient été faites.
Aujourd’hui, ces travaux doivent encore être étoffés par d’autres recherches avant d’aboutir à un concept industrialisable qui pourrait constituer une excellente alternative ou un bon complément aux technologies actuelles de protection cathodique. Travaux que la doctorante souhaite poursuivre au sein de CORROHM en tant qu’ingénieure R&D, cette fois-ci sur une vraie structure. Et qui tiendront compte des grandes observations tirées des premières phases exploratoires, comme, par exemple, la grande influence constatée de la température sur la performance du système (plus il fait chaud, plus le courant délivré est important).
« J’ai trouvé l’idée d’utiliser le vivant et des réactions naturelles
pour protéger notre patrimoine bâti incroyable »
L’obtention du Prix de Jeune chercheur pourrait bien constituer, quant à lui, un bon effet de levier pour ces travaux. La mise en avant de ce « beau sujet », celui de la sauvegarde du bâti qui s’appuie sur une démarche éco-responsable, pourrait aussi ouvrir la voie à « de nouvelles collaborations », comme le souligne justement la chercheuse. Les perspectives d’applications semblent de leur côté bien tangibles puisque, d’ores et déjà, le développement de ce système a fait l’objet de deux dépôts de brevets co-signés entre le LMDC, le LGC et CORROHM.
Aujourd’hui, Julie Dubuit dit mettre « beaucoup d’espoir » dans cette solution. « Quand mes futurs encadrants m’ont parlé de ce sujet de recherche, j’ai trouvé l’idée d’utiliser le vivant et des réactions naturelles pour protéger notre patrimoine bâti incroyable », aime-t-elle raconter. « Car la démarche est totalement éco-responsable puisque l’on vient extraire de l’énergie ambiante contenue dans les sédiments. C’est un sujet qui a du sens car, avec une solution de ce type, nous pourrions limiter les cycles de démolition/reconstruction, sachant que pour produire du béton, il faut collecter du sable, ce qui contribue à la destruction des espaces côtiers, et que la production de ciment, l’un des principaux constituants du béton, génère des émissions de CO2 colossales ! »
33 lauréats du prix Jeune chercheur en 2024 Pour l’année 2024, le conseil scientifique de la Fondation des Treilles, présidé par le Professeur Pascal Ory, membre de l’Académie française, a couronné 33 nouveaux lauréats dont 22 doctorants et 11 post-doctorants. |
Rédaction : Camille Pons, journaliste

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